INSIDE ALONZO KING LINES BALLET, Théâtre du Vellein, Villefontaine

Théâtre VillefontaineJ’ai vécu lundi 8 février un moment rare en assistant tout l’après-midi au cours puis à la répétition de la troupe d’Alonzo King, que j’avais vue le mercredi précédent, ressortant émerveillé de la qualité et de la sensibilité du spectacle. Je faisais le chauffeur pour le fiston, invité à participer à cette session de préparation avant les performances du mardi et mercredi à Villefontaine. Il poursuit de ce côté de l’océan Atlantique le premier contact qu’il avait eu il y a bientôt deux ans avec LINES Ballet lorsqu’il était à Seattle. Une audition intense sur 3 jours qui lui avait permis de se faire connaître, encore trop jeune à l’époque pour entrouvrir la porte d’un ballet d’un tel niveau et d’une telle réputation, mais une belle opportunité de se confronter à l’excellence et de semer un petit caillou.

La maître de ballet m’ayant gentiment proposé de rester dans le studio, je me suis discrètement installé dans un coin de la pièce, petite souris autorisée à voir l’envers du décor. La démission récente de Benjamin Millepied de l’Opéra de Paris avait provoqué la rediffusion du documentaire « Relève », qui avait un peu mis le feu aux poudres, et où on le voyait, entre autres, répéter ses dernières chorégraphies et procéder aux ultimes réglages. Pendant quatre heures, j’ai eu l’impression d’être au cœur d’un documentaire de Canal Plus !

La semaine précédente j’avais vu les danseurs dans leur costume de scène, le corps tendu dans l’effort. C’était évidemment amusant de les voir arriver un par un, dans des tenues d’entraînement parfois improbables, totalement décontractés, s’amusant de voir les barres de danse installées sur la scène étriquée de cette salle qu’on leur avait réservée.

La première heure et demie est consacrée aux exercices que les danseurs doivent pratiquer quotidiennement, comme les musiciens font leurs gammes. Petit à petit les corps se délient à la barre, les mouvements s’intensifient, précis dans le relâchement. Pour un néophyte, c’est une énigme de voir la maître de ballet indiquer les pas à enchaîner, suites de dix ou vingt instructions, la plupart en français car c’est la langue universelle de la danse classique, dessinées par des gestes des mains qui marquent les temps, et dont on se demande comment les danseurs peuvent les retenir. Mais leurs corps rompus à ces exercices depuis tant d’années, ont tout autant la mémoire de ce qu’ils doivent effectuer que le cerveau. La danse plus que tout autre discipline artistique est affaire de sensations et de conscience du déplacement dans l’espace et chez les danseurs il s’est établi un canal direct entre les consignes qu’on leur donne et les mouvements qu’elles déclenchent.

Le cours continue avec les exercices dits « au centre » où chacun tout en respectant la série de pas demandés y greffe parfois quelques variations dès qu’il se sent maîtriser l’enchaînement. L’un des danseurs est particulièrement impressionnant : quel que soit le mouvement demandé son corps à la fois puissant et souple semble instantanément le posséder, s’en sert comme base mélodique et le décore de motifs virevoltants.

Après une petite pause qui permet au maître de ballet de vérifier les différentes séquences à répéter et mettre au point pour de futurs spectacles, les danseurs, descendus de la scène où le cours s’est déroulé, investissent la salle elle-même. Depuis une heure et demi je les observais de loin assis sur une chaise calée dans un coin de la pièce pour me rendre invisible. Tout d’un coup je les vois se déployer, simulant l’espace d’un plateau sur lequel ils se produiraient. Je ne suis plus un spectateur privilégié, à distance respectueuse. Je suis « Inside Alonzo King Lines Ballet ».

La répétition va durer deux heures. Deux heures d’échanges entre la maître de ballet et les danseurs qui ne cessent de questionner tel ou tel mouvement, de proposer une attitude plutôt qu’une autre, qui leur semble plus fluide et mieux correspondre à l’esprit de la chorégraphie. Je comprends rapidement que tous connaissent ces pièces car ils les ont déjà interprétées, y compris la maître de ballet qui jusqu’en 2014 était elle-même une des danseuses éminentes de la troupe, ayant souvent créé les nouveaux rôles que lui confiait Alonzo King. C’est elle qui a maintenant la responsabilité de diriger ces douze artistes exceptionnels pendant cette tournée de plusieurs semaines.

Une chorégraphie est sans conteste un être vivant en perpétuelle évolution ! Bien sûr l’essentiel est identique d’une soirée à l’autre mais, fruit de l’expérience et de la réflexion, quelques variations sont proposées et testées dans un évident objectif de la polir jusqu’à ce qu’elle étincelle à tout instant.

La répétition se concentre sur les mouvements d’ensemble où chacun doit à la fois posséder sa partition à la perfection et la jouer en parfaite harmonie avec les autres. Sentant que je risquais de gêner, je me suis décalé près de la porte de la salle, mais les danseurs remplissent l’espace dans toute sa largeur et j’aurais à peine à lever le bras pour les toucher. Certains s’amusent de me voir me reculer dans le renfoncement de cette porte tant ils sont près.

Sous des airs décontractés, la répétition est intense, la maître de ballet détectant instantanément le moindre relâchement ou ce qu’elle considère comme une implication insuffisante sur telle ou telle de ses demandes. Une fois peaufinée chaque partie est dansée dans son ensemble avant de passer à la suivante, et ainsi de suite jusqu’à ce qu’il ne reste plus de doutes ou de questions.

Pendant ces deux heures, les danseurs se contentent la plupart du temps de « marquer », comme ils disent. Ils évoluent dans le tempo mais ne font pas vraiment les pas ou les sauts. Le but est de parfaire la chorégraphie, de synchroniser les déplacements, d’être en concordance absolue avec la musique. Les pas et les sauts ils les connaissent, et ils auront d’autres sessions, à l’approche des spectacles, pour s’assurer que tout est en place.

Justement, le lendemain ils dansent ! Villefontaine, riante bourgade du Nord Isère, accueille cette troupe de renommée internationale. Sans aucun doute volonté de démocratiser leur art, puisqu’ils peuvent tout aussi bien se produire au Théâtre national de Chaillot à Paris, être invité au très réputé Festival de Danse de Montpellier ou danser dans les plus grandes métropoles mondiales.

Et la veille d’une représentation, on ne répète pas dans une salle annexe, on va sur scène. Tout le monde rassemble ses affaires et se dirige vers le théâtre attenant. La petite souris aussi ! Passage par les coulisses, et installation au fauteuil de mon choix, seul spectateur dans une salle de 400 places. Ce n’est plus un privilège, c’est un rêve éveillé !

Là pas question de simplement « marquer ». Nous avons droit – car Lorris me rejoint après avoir présenté un solo qu’il avait dû apprendre sur place, coaché par un des danseurs, et qui lui permettra de montrer les progrès accomplis depuis deux ans, nouveau petit caillou sur ce long chemin qui mène à une carrière professionnelle – nous avons droit donc, sans les costumes j’en conviens, à une partie du spectacle. C’est véritablement étonnant de voir les danseurs se métamorphoser en quelques instants, le temps qui sépare une salle de répétition de la scène du théâtre : les corps qui ne se donnaient pas la peine d’accomplir les gestes parfaits retrouvent soudain leur tension, leur virtuosité, leur grâce. Et toujours ce dialogue entre eux et la maître de ballet pour les derniers réglages. La concentration est maximale à la fois pour se mettre dans les conditions de la performance réelle mais aussi dans le souci d’éviter toute blessure à cause d’un mouvement qui n’aurait pas été maîtrisé alors que l’engagement est total.

Nous allons ainsi assister à une heure de show, parachevant cette journée particulière qui me laissera un souvenir émerveillé et ému. Ému bien sûr puisque j’ai eu la chance de voir l’art en train de se construire et de se ciseler. Mais ému également d’avoir vu mon fils danser, loin d’être ridicule, au milieu de cette élite de la danse dont nous espérons qu’il la rejoindra un jour prochain.

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