QUE DIOS NOS PERDONE de Rodrigo Sorogoyen

Mauvais Œdipe !

Un policier trop sanguin n’hésitant pas à s’en prendre à ses collègues, l’autre, bègue et asocial : un attelage improbable pour résoudre les crimes d’un violeur de mamies.

La chaleur pesante de Madrid, que l’on ressent physiquement avec le maillot de corps humide et la chemisette ouverte d’un des deux flics, l’atmosphère de méfiance entre équipes et le sentiment d’un manque de transparence sur des affaires passées, donnent un petit air de « Le Caire Confidentiel » à ce film noir espagnol, tout aussi poisseux que son prédécesseur égypto-suédois, mais qui se déroule de jour – les vieilles madrilènes ne font pas leurs courses la nuit, les scènes de crimes en sont d’autant plus crues et réalistes – et où la corruption est remplacée par la volonté du chef du commissariat de ne pas sortir des affaires sordides en ce milieu du mois d’août qui accueille Benoît XVI pour les Journées Mondiales de la Jeunesse.

Polar impressionniste

Le réalisateur nous entraîne par petites esquisses à la poursuite du criminel, coups de pinceaux qui au fur et à mesure vont composer le tableau complet. Mais comme pour toute peinture impressionniste, tant qu’il a le nez trop près de la toile – le temps de la projection du film – le spectateur n’a pas la vue d’ensemble qui seule révèle la composition finale. Indices et fausses-pistes se côtoient, les petites touches sur des instants de vie privée tendent, s’il en était besoin, encore plus l’histoire, considérations psychanalytiques et interprétations purement crapuleuses cohabitent. Lire la suite

I AM NOT MADAME BOVARY de Feng Xiaogang

Grain de sable

« I am not Madame Bovary » est un film remarquable au moins pour trois raisons : son format, qui évidemment surprend dans les premières secondes, mais crée un véritable effet de concentration du spectateur ; son histoire, qui apparaît alambiquée au début, mais qui brasse certaines des contraintes sociétales historiques de la Chine moderne ; sa critique à la fois acerbe et humoristique de l’organisation politico-administrative où chacun passe plus de temps à plaire à ses supérieurs – ou du moins leur éviter la moindre contrariété – qu’à traiter les problèmes des citoyens.

« I am not Madame Bovary » est une mèche lente, allumée par une femme le jour où elle veut faire admettre que son divorce, qui a toutes les apparences de la légalité, est en fait un faux, arrangé initialement avec son mari pour récupérer un nouveau logement. Mais sitôt les papiers signés, il part vivre avec une autre. Alors, blessée, elle veut faire annuler la fausse séparation pour pouvoir rompre définitivement mais cette fois pour de bonnes raisons ! Evidemment elle n’aura pas gain de cause au tribunal. Lire la suite

BABY DRIVER de Edgar Wright

Braquage auto-musical

La scène d’ouverture est juste époustouflante, chorégraphie d’un artiste du volant au son de sa playlist. Coups de feu et vrombissements du moteur synchronisés aux temps forts de la musique, dérapages contrôlés par un maître de ballet du bitume et une entourloupe tout autant malicieuse qu’esthétique pour semer définitivement la police.

Baby, visage d’adolescent et chauffeur de braqueurs de banque, est imperturbable, écouteurs et lunettes noires. Ses passagers, gangsters pourtant audacieux et hâbleurs, n’en mènent pas large. Lui ne rentrerait pour rien au monde, arme au poing, dans les établissements dévalisés. Chacun son job. Kevin Spacey, grand ordonnateur de ces purs moments d’adrénaline, le rappelle fermement à ceux qui s’inquiètent de son mutisme et de son apparente indifférence pendant les briefings toujours plongé dans son univers musical.

Baby Driver a tous les ingrédients des films testostéronés d’Hollywood : bolides survitaminés et hurlants, éventail complet de bad boys tatoués et dégainant au moindre regard de travers, fusillades tarentinesques et course-poursuite de voitures qui feront date.

Mais Edgar Wright, réalisateur anglais, les cuisine à sa sauce : les explosions, les crissements, et même la distribution des liasses de billets forment une bande son parallèle, entrecoupées de chansons un peu fleur bleue qui émaillent la romance de Baby avec une jeune serveuse. D’ailleurs certains critiques ont qualifié le film de La La Land du cinéma d’action, Ansel Elgort esquissant dans tous ses déplacements des pas de danse au rythme des morceaux qui défilent dans ses iPod. La comparaison avec Ryan Gosling ne s’arrête évidemment pas là puisque ce dernier incarnait dans Drive un conducteur tout aussi surdoué et mutique !

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UNE FEMME FANTASTIQUE de Sebastián Lelio

Combat pour la dignité et l’équité 

Orlando, un quinquagénaire grisonnant assis au bord de son lit et qui suffoque. Sa petite amie, à qui il vient d’offrir un voyage en amoureux aux Chutes d’Iguazú, l’emmène en urgence à l’hôpital. Le cœur lâche. Marina, seule, face à la mort de son amant, de son compagnon. Elle s’en va, avertissant le frère du défunt, seul contact avec sa famille.

Rattrapée dans les rues proches de l’hôpital par la police : pourquoi a-telle fui ? Premier regard soupçonneux. La différence d’âge ? Non, Marina sous son apparence très féminine est née homme. Le policier hésite sur le pronom quand il s’adresse au frère : il … elle. Non elle n’a pas fui. Mais qui est-elle officiellement pour le défunt ? Rien. Alors elle retournait dans leur appartement. Non il n’y a pas eu violence ; les contusions du mort sont dues à sa chute dans l’escalier pendant les quelques secondes où elle l’a lâché pour chercher des clés dans l’appartement. Non il n’y a pas eu non plus de jeu sexuel pervers. Toutes les questions sont immédiatement orientées jusqu’à demander si elle était payée.

Charme et sobriété

Pourtant Marina a l’apparence d’une jeune femme normale, loin d’une vision caricaturale des travestis ou des transexuels. Serveuse appréciée de sa patronne dans un restaurant branché, chanteuse certains soirs dans un cabaret, élève appliquée d’un vieux professeur de lyrique, elle s’habille et se maquille sobrement, laissant affleurer un charme discret, qui a sans doute séduit Orlando. Lire la suite

LE CAIRE CONFIDENTIEL de Tarik Saleh

A corrompu, corrompu et demi … au moins !

Le Caire Confidentiel est un escalier dont le spectateur monte progressivement les marches, dans une atmosphère étouffante, pour découvrir à chaque degré un niveau de corruption supérieure. Il les monte au début en compagnie de Noureddine, inspecteur de police ni meilleur ni plus mauvais qu’un autre et qui combine naturellement son travail de policier et la perception de bakchichs auprès des petits commerçants ou de personnalités qui ne souhaitent pas être mouillées dans une enquête.

La routine ! Jusqu’au jour où il y a crime et qu’un influent entrepreneur semble impliqué dans l’assassinat d’une chanteuse jeune et célèbre.

Malgré que son supérieur – qui est par ailleurs son oncle, veille précautionneusement à la carrière de son neveu, et organise ses petits trafics- lui ordonne de laisser tomber toute investigation car l’affaire a été classée par de plus hautes autorités, il va évidemment persister et pénétrer petit à petit dans des zones grises où il est ballotté comme un fétu de paille au gré des forces policières, politiques, et du business, qui s’influencent, se combattent ou coopèrent en fonction des intérêts changeant des uns et des autres et de l’évolution de la situation géopolitique : l’action se situe en plein Printemps arabe à quelques jours des premières manifestations sur la Place Tahrir au Caire. Lire la suite

LA CONFESSION de Nicolas Boukhrief

Foi et désir

– « Pour votre pénitence, vous lirez, seule, le dernier des quatre évangiles, celui de Jean »
– « C’est tout mon père ? »
– « Vous savez bien que tout ça n’est pas entièrement de votre faute »

Aveu de Léon Morin prêtre, de son rôle dans cette joute intellectuelle et passionnelle, dont on sent dès la première rencontre qu’elle va aller au-delà de la discussion théologique !

Ce film est à l’origine un livre paru en 1952 de la romancière Beatrix Beck et qui a obtenu le Prix Goncourt. Sa première adaptation au cinéma, en 1961, sous le titre du roman « Léon Morin, prêtre » fut réalisée par Jean-Pierre Melville avec dans les deux rôles principaux Jean-Paul Belmondo et Emmanuelle Riva. Tous les deux sont à l’époque les icônes, jeunes, charismatiques et séduisantes de la Nouvelle Vague et du Nouveau Cinéma, très proche du Nouveau Roman, symbolisés l’un par Jean-Luc Godard – Belmondo vient de tourner « A bout de souffle » – et l’autre par Alain Resnais – Emmanuelle Riva vient de tourner « Hiroshima, mon amour ».  On est donc dans l’histoire du cinéma, à la limite du culte ! Lire la suite

SPLIT de M. Night Shyamalan

splitPublicité mensongère !

Remboursez ! Comme sans doute la plupart des spectateurs, j’avais pris mon billet pour voir un acteur se démultiplier dans un rôle éminemment oscarisable – pour l’an prochain vu que le film vient de sortir – et endosser 23 rôles dans un tourbillon de personnalités changeantes. Et si possible extrêmement différentes, ce qui aurait ajouté à la fois à la performance et à ses chances d’obtenir la fameuse statuette. Attente justifiée par le fait que la promotion du film dans les media met exclusivement en avant cet éclatement du personnage et le tour de force de l’acteur pour interpréter cette multitude. Le réalisateur allant jusqu’à expliquer que pour que James McAvoy ne perde pas la tête, il ne lui demandait de jouer qu’un seul rôle par jour, afin qu’il ne s’éparpille pas et reste concentré sur sa psychologie et son incarnation.

Ils ne sont donc pas 23 ni même 20. Vous vous dites 15, alors ? Non, même pas 10. Au générique il y en a 5 ou 6 et encore seulement 4 ans ont un rôle vraiment significatif. Et même s’ils ont effectivement des personnalités nettement distinctes, l’interprétation ne les transforme pas au point que l’on pourrait imaginer que ce sont des acteurs différents qui les jouent, ce qui aurait pu être le défi ultime. Le rôle principal ayant toujours le visage fermé et quasi figé, les trois autres ne semblent être finalement que des variations de mimiques superposées au masque de base. Lire la suite

ROUES LIBRES de Attila Till

De l’intérêt d’une bonne bande-annonce !roues-libres

Un film hongrois sur des handicapés en fauteuil roulant dont l’un, plus vieux, fait office de tueur à gages et les deux autres, plus jeunes, semblent gravement atteints, assez maladroits et pour tout dire assez irrécupérables !

Vous n’en avez pas entendu parlé ? Normal, ce film a l’air d’être passé sous les radars. Il fallait vraiment tomber sur la bande annonce lors d’une autre séance pour être au courant. Et savourer cette minute et demi d’un cocktail détonnant d’humour noir, de situation déjantées politiquement incorrectes, de quelques explosions d’hémoglobine et de comique absurde.

Un film hongrois … Quel est le dernier film hongrois que vous avez vu ? Ah si peut-être « Le Fils de Saul » de László Nemes, Grand Prix du Jury à Cannes et qui traitait des camps de concentration. Mais le réalisateur a vécu à Paris jusqu’à presque 30 ans, y a fait ses études de littérature et d’écriture de scenario et circule depuis entre New York, Budapest et la France.

Donc ? On a beau chercher on ne voit pas. Pourtant coïncidence, un film hongrois vient d’être récompensé de l’Ours d’Or à Berlin il y a dix jours. Y aurait-il un printemps  du cinéma venu de Budapest ? J’emploie le mot printemps à dessein car on entend plus souvent parler de la Hongrie depuis quelques années pour la dérive autoritaire et populiste, si ce n’est fascisante, de son premier ministre Viktor Orban. Lire la suite

MOONLIGHT de Barry Jenkins

moonlightPeut-on être noir, homosexuel et vivre au milieu des gangs et de la drogue ?

Moonlight apporte sa réponse : oui, mais ce n’est pas tous les jours facile et le chemin pour survivre ne même pas forcément là où l’on pensait !

Moonlight est le lent cheminement vers l’âge adulte, pris à trois périodes différentes, d’un jeune garçon qui dès son enfance – il doit avoir une dizaine d’années – se retrouve isolé, subit les moqueries du groupe et est régulièrement coursé par ses petits camarades qui l’utiliserait bien comme punching-ball.

Qu’est ce qui lui vaut un tel traitement ? Sa petite taille – tout le monde l’appelle Little – sa gueule d’ange, son peu d’appétence pour les jeux ou les sports collectifs, ses silences. Il passe quand même entre les gouttes, trouve de temps en temps un camarade charitable et échappe de justesse à la raclée promise grâce au caïd local qui se prend d’affection filiale pour ce gamin, à qui il veut éviter à la fois les mauvaises rencontres et de s’engager sur de mauvaises voies. Lire la suite

LA LA LAND de Damien Chazelle

la-la-landAgréablement déçu !

L’unanimité dithyrambique qui entoure le film ne peut qu’éveiller un soupçon de méfiance ! D’autant que la critique s’extasie sur la grâce avec laquelle le réalisateur réhabilite la comédie musicale, et nous ramène aux plus grandes heures hollywoodiennes signées Stanley Donen. Affirmation risquée pour un fan inconditionnel comme je le suis de « Singing in the Rain » !

Pourtant La La Land vous saisit d’entrée avec ce qui constitue sans doute le morceau de bravoure du film côté comédie musicale. Et d’ailleurs les seuls qui n’y dansent pas sont Emma Stone et Ryan Gosling. A y repenser maintenant, cela situe leur apport aux scènes chantées et dansées. Ils les effectuent avec beaucoup d’élégance et de charme, mais bien évidemment à aucun moment ils ne nous éblouissent ou ne nous emportent comme Gene Kelly, Debbie Reynolds et Donald O’Connor, qui étaient des danseurs professionnels et qui n’avait pas non plus de leçon à recevoir quant à leur jeu d’acteurs. Lire la suite