GROTTE CHAUVET

© Psaila-Perazio

Il y avait foule à l’entrée de la grotte. En ce jour du milieu de l’été -34048, toutes les figures connues de la bonne société Homo Sapiens, rive gauche et rive droite de l’Ardèche confondues, n’avaient pas hésité à faire des jours de marche pour assister à l’inauguration de ce nouveau lieu où l’on annonçait un spectacle encore jamais vu.

Elles avaient d’autant moins hésité que depuis quelque temps cette période de l’année devenait plus propice aux longs trajets car la température s’était nettement réchauffée – on descendait maintenant rarement en cette saison en dessous de -20° – et on pouvait espérer éviter pendant plusieurs jours ces tempêtes de neige qui rendaient la progression extrêmement périlleuse, surtout quand elles étaient flanquées du vent glacé qui soufflait des hauts-plateaux et plongeait les marcheurs dans un brouillard blanchâtre à couper à la pointe de sagaie.

Knouk accueillait personnellement les invités et ne pouvait cacher son plaisir, teinté de revanche, de voir défiler devant lui tous ceux qui le méprisaient – en privé il les traitait de Cro-Magnon – et qui considéraient ses activités comme inutiles, voire nuisibles et en tout cas sans intérêt ni avenir. Quelques mois plus tôt il avait essuyé les moqueries à cause de ses idées farfelues de gribouiller sur les pierres ou sur le sol, des formes censées représenter les animaux. Pour ces congénères, ils étaient dans le meilleur des cas un gibier, mais la plupart du temps une menace. D’ailleurs, un certain nombre d’amis de Knouk, avaient fait les frais de leur désir d’observer au plus près la faune locale, finissant piétinés par un mammouth laineux sans même que l’animal ne s’en rende compte, ou soulevé, à une hauteur de laquelle ils retombaient en se fracassant les os, par les bois monumentaux d’un mégacéros, lorsque celui-ci relevait la tête et qu’il embarquait ce fétu de paille qui tentait d’observer sa parure frontale. Lire la suite

PEGGY GUGGENHEIM, LA COLLECTIONEUSE de Lisa Immordino Vreeland

Un jour nous irons à Venise

Une larme qui coule sur la joue. Une oeuvre peut-elle vous émouvoir à ce point ? Où est-ce la vie de cette femme exceptionnelle qui est si troublante ?

Guggenheim, un nom qui résonne aux oreilles des amateurs d’art et dont les musées sont sublimés par des architectes de renom. Mais Peggy, qui la connaît ? Nièce de Solomon Guggenheim, celui qui fortune faite, s’est transformé en collectionneur et mécène, elle a mené sa vie en rupture avec sa richissime famille, ne s’intéressant qu’aux jeunes artistes de son époque, et contribuant à faire émerger certains des talents exceptionnels du XXème siècle.

Autodidacte, longtemps méprisée par la bonne société, décriée pour ses choix artistiques, elle a tracé sa route sans souci de sa réputation, guidée par son goût des oeuvres, son attirance pour les créateurs et sa passion amoureuse pour certain d’entre eux.

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LUMIÈRES D’ÉTÉ de Jean-Gabriel Périot

Le fantôme d’Hiroshima

Le film commence par un double coup de marteau : le récit de l’explosion de la bombe d’Hiroshima par une survivante, qui à l’époque avait 14 ans, et qui y a assisté en tant que spectatrice et victime. Les mots sont simples, horriblement concrets ; la voix nous transporte petit à petit sur cette route que parcourt la jeune fille à la recherche de sa mère et où elle laisse sur le bas-côtés ces gens qui vaquaient à leurs occupations quotidiennes et dont soudain le corps se transforme sous l’impact des radiations et des brûlures. Le récit est long, par moment on se demande si l’on ne va pas décrocher, mais la force intérieure du souvenir nous ramène sans faille à cet événement dont Mme Takeda, qui n’en avait jamais parlé publiquement auparavant, n’a oublié aucun détail 70 ans plus tard. D’autant que sa sœur Michiko, jeune infirmière de 20 ans n’a pas survécu, se sacrifiant au chevet des irradiés.

Touché par cette histoire, dont il sent qu’elle remue des choses profondément enfouies, le réalisateur japonais, qui terminait avec ce témoignage éprouvant son documentaire pour la télévision française, ressent le besoin de prendre l’air et sort s’asseoir sur un banc dans le Parc de la Paix, tout proche de l’hôtel d’Hiroshima où se tenait le tournage.

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QUE DIOS NOS PERDONE de Rodrigo Sorogoyen

Mauvais Œdipe !

Un policier trop sanguin n’hésitant pas à s’en prendre à ses collègues, l’autre, bègue et asocial : un attelage improbable pour résoudre les crimes d’un violeur de mamies.

La chaleur pesante de Madrid, que l’on ressent physiquement avec le maillot de corps humide et la chemisette ouverte d’un des deux flics, l’atmosphère de méfiance entre équipes et le sentiment d’un manque de transparence sur des affaires passées, donnent un petit air de « Le Caire Confidentiel » à ce film noir espagnol, tout aussi poisseux que son prédécesseur égypto-suédois, mais qui se déroule de jour – les vieilles madrilènes ne font pas leurs courses la nuit, les scènes de crimes en sont d’autant plus crues et réalistes – et où la corruption est remplacée par la volonté du chef du commissariat de ne pas sortir des affaires sordides en ce milieu du mois d’août qui accueille Benoît XVI pour les Journées Mondiales de la Jeunesse.

Polar impressionniste

Le réalisateur nous entraîne par petites esquisses à la poursuite du criminel, coups de pinceaux qui au fur et à mesure vont composer le tableau complet. Mais comme pour toute peinture impressionniste, tant qu’il a le nez trop près de la toile – le temps de la projection du film – le spectateur n’a pas la vue d’ensemble qui seule révèle la composition finale. Indices et fausses-pistes se côtoient, les petites touches sur des instants de vie privée tendent, s’il en était besoin, encore plus l’histoire, considérations psychanalytiques et interprétations purement crapuleuses cohabitent. Lire la suite

LE PAQUET, de Philippe Claudel

Festival de Théâtre de La Bastille

Un texte de Philippe Claudel, joué à l’origine par Gérard Jugnot ; un comédien, Patrice Osete, imprégné de son rôle ; un cadre exceptionnel, les spectateurs assis sur les grandes marches d’un mini théâtre antique face à la plaine grenobloise, entourée de ses montagnes fétiches. Et une bonne action : soutenir le Festival de Théâtre de la Bastille.

Une soirée douce et intense. Le monologue alterne entre réflexions profondes et dégagements humoristiques et farfelus. L’acteur traîne son paquet. Que recèle-t-il ? Une proche ? Un voisin ?. « Nos bassesses, nos veuleries, nos promesses reniées, … » ? Une réflexion sur la solitude dans la société moderne.

N’hésitez pas à lire/relire la pièce, elle est dipsonible en téléchargement sur leslibraires.fr ou d’autres sites de e-commerce, et cela prend à peine 45′.

Dernière Mardi 15 Août à La Bastille à 19h. Mais la pièce peut être jouée dans votre appartement ou dans votre maison !

BOUFFER

–   Mais arrête avec ce mot !

–   Quel mot ?

–   Bouffer, tu viens de le redire « J’ai bouffé avec mon fils … ». C’est laid. Tu ne peux pas dire « J’ai déjeuné » ou même « J’ai mangé ». Mais franchement, Bouffer c’est vulgaire.
Je vous vois bien tous les deux. Penchés sur votre assiette, les bras écartés, les lèvres qui touchent votre fourchette. En la ramenant frénétiquement, pour vous remplir le gosier le plus rapidement possible. Sans vous préoccuper de ce que vous mangez.

–   Sympa ! Je vois que tu as une image flatteuse de mes repas en famille !

–   Allez ne te vexe pas. Mais je n’aime pas ce mot, dit-elle en esquissant un petit rire.
Et tu as déjà vu ces types légèrement courbés pour éviter de tâcher leur tee-shirt, qui couvre difficilement leur bedaine. En train d’avaler un sandwich emballé dans du papier. Et à chaque fois qu’ils resserrent les mâchoires dessus, il y a de la sauce qui coule ou des miettes qui s’échappent.
Avoue, ce n’est quand même pas très classe ! Lire la suite

LES RUBANS BLEUS

Sur sa peau dorée deux fines bretelles
Retiennent sa robe en suspension
Deux rubans bleus et plats noués sur elles
Maintiennent l’étoffe sous tension.

Entre pouces et index, je délace
Le premier nœud, libère le tissu.
Elle me fixe, apeurée de l’audace
Qui découvre une épaule à son insu.

Sous une caresse inhabituelle
Je sens un léger frisson duveté.
Quand s’efface la seconde bretelle,

Dans un réflexe de timidité,
De ses deux bras croisés, mains à plat, elle
Dérobe à mon regard, sa nudité.

 

 

 

 

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