Une classique où beaucoup de monde s’est donné rendez-vous vu le manque chronique de neige. Une grande combe de 1100 m de dénivelé sans difficulté particulière et qui vous amène d’un petit village accroché à flanc de montagne jusqu’à à un point de vue exceptionnel sur les Alpes, du Nord au Sud, qui embrasse du Mont Blanc jusqu’aux Écrins. De manière amusante on a l’impression, sur le panorama, que la ligne d’horizon montagneuse est en équilibre sur Le Pic de Lachat au premier plan. Pour les plus curieux, on peut même apercevoir m’a-t-on dit, assez à droite du MontBlanc, une petite pointe très éloignée : le Cervin.
La montagne est vaste et la petite foule qui se met en marche va s’éparpiller dans les différentes combes, chaque groupe allant à son rythme, évitant tout sentiment d’affluence. Le ski de randonnée est une école de patience et de persévérance. Il n’y a pas d’autres moyens pour atteindre le sommet que de commencer à mettre un ski devant l’autre et de recommencer. Lorsque que l’on fait les premiers pas, on évite de penser à l’arrivée, au risque de se décourager. Lors d’une journée telle qu’aujourd’hui, le paysage, le bleu du ciel et la douceur du temps suffisent largement à la motivation du randonneur. Il se produit même une sorte de renversement : on apprécie à l’avance, vues les conditions, de passer tout ce temps au cœur de ces étendues blanches et vallonnées.
Evidemment pour atteindre l’objectif et apprécier le plaisir que l’on est venu chercher, il faut trouver son rythme, ni trop rapide au risque d’avoir les jambes de plomb avant le sommet, ni trop lent pour ne pas trouver la ballade interminable voire désespérante. L’allure idéale est celle qui permet de progresser sans essoufflement, en adaptant en douceur la fréquence et la longueur de ses pas aux variations du relief, avec cette sensation que l’on pourrait sans doute accélérer, tout en sachant au fond de soi que le moindre excès d’optimisme conduirait à brûler ses cartouches et à se retrouver quelques minutes plus tard haletant, les cuisses qui durcissent et dans l’obligation au mieux de ralentir, mais le plus souvent de s’arrêter pour retrouver l’équilibre entre effort et bien-être.
Et là, installé dans sa cadence, à chaque inspiration, on sent la montagne qui vous emplit les poumons et qui irrigue chaque vaisseau sanguin. Des moments rares où le corps est une mécanique bien huilée qui vous transporterait pendant des heures. Une sorte de communion s’établit entre soi et ce qui vous entoure. Un sentiment de plénitude vous prend tant tout semble s’accorder : le physique, le mental, le lieu, la récompense escomptée de l’objectif à atteindre, la satisfaction d’avoir eu raison de se lever tôt le matin. Des instants fugaces qu’il faut pleinement savourer car si la seconde précédente vous vous sentiez porter par cette euphorie, la seconde suivante la fatigue vous rattrape et vous fait prendre conscience de la distance qu’il vous reste à parcourir. Vient alors le temps de se concentrer à nouveau sur chaque mouvement, de se motiver par des buts moins ambitieux, comme le haut de la pente que l’on a devant soi, sachant que le replat qui lui succède vous apportera un peu de répit et que vous vous serez encore approcher du sommet. Un pas après l’autre, une étape après l’autre.
Jusqu’à ce que, en levant la tête, on se rende compte que l’on a bien progressé et que l’objectif est en vue. Surviennent alors à la fois un regain d’énergie et un frisson qui vous parcourt, anticipant le plaisir d’être bientôt arrivé. Les derniers hectomètres vous sont donnés pour savourer cette belle matinée, mélange de sensations physiques intenses, de moments de bonheur dépouillé et de la satisfaction d’avoir accompli la sortie prévue.
Généralement, on s’assoit, on contemple, on prend quelques photos, on sort le casse-croûte – c’est fou comme le contexte rend goûteux un sandwich pain de mie – jambon, on remplit son regard et l’on se prépare doucement à déguster avec gourmandise la cerise sur le gâteau : la descente !